Coco Chanel, la figure de la garçonne – Issuu
from Haute Couture et transformation sociale française au 20ème et 21ème siècle
CHANEL : LA FIGURE DE LA GARÇONNE
Si tu es né sans ailes, ne fais surtout rien pour les empêcher de pousser. “ ” Gabrielle Chasnel naît le 19 août 1883 à Saumur et connaît une enfance très difficile. Elle est le second enfant d’un couple non-marié et assez pauvre. Sa mère vient d’une famille de paysans et son père est un vendeur ambulant à l’activité douteuse. Sa mère meurt alors qu’elle est encore enfant et son père ne tarde pas à les abandonner elle et sa sœur. Gabrielle est donc placée dès l’âge de douze ans dans un orphelinat tenu par des religieuses. Elle grandit donc dans ce pensionnat où elle reçoit une éducation stricte et apprend à coudre.
Advertisement
La petite fille est obligée de s’endurcir et c’est à ce moment que se construit cette personnalité déterminée et intransigeante qu’on lui connaît et que naît une volonté qui ne la quittera jamais d’ascension sociale dont elle tirera plus tard la citation «Si tu es né sans ailes, ne fais surtout rien pour les empêcher de pousser».
Coco Chanel jeune
Elle devient vendeuse dans un magasin de tissu à Moulins à ses dix-huit ans et rêve de devenir chanteuse de variété. Elle interprète des chansons dans les cafés, notamment «Qui qu’à vu Coco» et «Ko-Ko-Ri-Ko» qui lui valent par les officiers qui l’écoutent le surnom de Coco. À vingt-cinq ans, elle rencontre Étienne Balsan, héritier du textile, et devient sa maîtresse. Il l’emmène dans la propriété qu’il possède près de Paris où Chanel apprend l’équitation et rencontre ses amis aristocrates. Elle réussit à le convaincre de lui céder sa garçonnière à Paris et ouvre un atelier de modiste. Elle y vend des chapeaux, plus modernes que ceux de l’époque qui étaient toujours extrêmement richement parés. En 1910, elle rencontre Arthur (dit Boy) Capel, héritier anglais de mines de charbon, qui devient son nouvel amant, remplaçant Balsan, et finance son déménagement au 31 rue Cambon, adresse emblématique où la maison se trouve toujours aujourd’hui.
encore une autre en 1915 à Biarritz. Alors que se déclare en 1914 la Première Guerre Mondiale, la bourgeoisie émigre donc vers ces ville portuaires et est immédiatement conquise par le style révolutionnaire de Chanel. Car Chanel ne crée pas simplement une mode contrairement aux autres couturiers de l’époque, elle crée un véritable style car comme elle le dira «la mode se démode le style jamais». Le style Chanel, ce sont des vêtement à la construction qui paraît toujours très simple mais en réalité complexe, des lignes et des couleurs épurées agrémentées d’accessoires et de bijoux fantaisies et des coupes toujours impeccables. Ce qui compte n’est pas tant le vêtement en lui-même que la personne qui le porte, le but du vêtement étant de mettre en valeur la personne qui le porte.
Le but de Chanel est donc de libérer les femmes de la cage dans laquelle elles s’enferment en partant du vêtement. Pour cela, elle poursuit d’abord le travail de suppression du corset déjà initié par Paul Poiret et Madeleine Vionnet. Elle présente dans son magasin des tuniques de jersey, tissu très souple à mailles habituellement réservé à l’époque aux sous-vêtements mais qu’elle utilise pour ses vêtements à cause de la pénurie de beaux tissus durant la guerre. Elle présente de plus des blazers de flanelle, tissu fluide et des jupes de coupe droite ainsi que ses premiers tailleurs dont la jupe arrive au-dessus de la cheville, détail choquant à l’époque et dont la veste est longue et ceinturée. Elle utilise des coupes et des formes souples associées à des matières douces et confortables, considérant que le vêtement doit avant tout servir celui qui le porte, un concept très novateur à l’époque où les femmes se camouflaient sous d’épaisses couches de vêtements et s’enfermaient dans des corsets qui les étouffaient et dans des cages en métal, les crinolines. Son style simple et confortable rencontre donc immédiatement un grand succès en cette période de guerre où il n’est pas de bon ton d’afficher sa fortune.
Dessin de l’ensemble en jersey Coco Chanel portant l’ensemble en jersey
À la fin de la guerre en 1918, Chanel retourne à Paris et agrandit sa boutique. Son style ne se limite plus à la saison estivale et aux riches stations balnéaires. Ses tailleurs beiges en jersey ou ses robes de soirées en dentelle et en tulle rencontrent un grand succès dans la haute société parisienne.
Son amant Boy Capel qu’elle considère comme son grand amour décède en 1919. En 1923, elle lance son premier parfum dans la lignée de Paul Poiret qui avait en premier lancé l’idée d’un parfum représentant une maison de couture. Elle lance donc l’iconique Chanel n°5 dont le nom est probablement le numéro de l’échantillon qu’elle retient pour devenir son parfum. Elle est la première à commercialiser un parfum mélangeant plus de quatre vingts substances dont des substances artificielles, synthétiques.
Le parfum tranche avec les autres de l’époque très fleuris, et est présenté dans un flacon rectangulaire au design simple et intemporel. Le succès immédiat du parfum ne se dément toujours pas aujourd’hui et il réalise l’exploit plus de quatre-vingts ans après sa création d’être toujours l’un des parfums les plus portés au monde, Marilyn Monroe déclarait même dans les années 1950 qu’elle ne portait que du n°5 pour dormir.
Bouteille de parfum Chanel n°5
Chanel crée en 1926 sa première petite robe noire, couleur alors associée au deuil, qui devient rapidement un classique. C’est une robe droite réalisée en crêpe de Chine noire, à manches longues et qui arrive juste en dessous du genou.
Le magazine Vogue la baptise immédiatement avec raison la «Ford de la mode» pour son apparente simplicité de construction (la robe est un tube noir avec des manches) et son style universel, comme celui de la célèbre voiture qui a révolutionné le secteur automobile. Et en effet la petite robe noire créée par Chanel en 1926 est aujourd’hui l’un des basiques de la garde robe féminine, un intemporel toujours élégant qui peut être porté en de nombreuses occasions.
Premier croquis de la petite robe noire
Coco Chanel posant en fumant Coco Chanel en 1928 avec son tailleur
Chanel devient dans les années 1920 un véritable personnage médiatique, qui appartient à la haute société. Son influence est très importante, c’est elle qui lance la mode des cheveux courts «à la garçonne» ou celle des sautoirs de perle par exemple.
La meilleure ambassadrice de Chanel, c’est Coco elle-même qui porte toutes ses créations pour s’assurer qu’elles soient réussies et conduit sa vie à l’image de ses créations, de manière libre et sans se soucier du regard des autres sur sa moralité. Elle entretient en effet une vie assez libertine, fréquentant différents amants toujours haut placés mais refusant toujours qu’on l’appelle autrement que «Mademoiselle» (ce qu’elle maintiendra d’ailleurs jusqu’à sa mort).
Chanel aime profondément les hommes et s’empare de ce qu’elle aime chez eux pour son propre compte. Chanel mène en effet une vie libre, elle n’est pas mariée, n’a pas d’enfants et est à la tête d’une importante fortune qu’elle a elle-même gagnée grâce à son travail acharné dans un milieu dirigé par les hommes. Elle porte le pantalon à une époque ou c’est encore interdit par la loi et très mal vu dans la société et fume la cigarette.
Elle est en cela un modèle qui inspire aujourd’hui encore car elle a réussi à transcender son milieu d’origine et une société qui reléguait les femmes au second plan pour mener la vie qu’elle a choisie.
Elle est au sommet de sa gloire au début des années 1930, vendant environ vingt huit mille modèles par an, habillant l’actrice hollywoodienne Gloria Swanson et fréquentant les meilleurs salons aristocratiques parisiens, comptant parmi ses amis Picasso, le chorégraphe russe Diaghilev pour qui elle dessiné les costumes de plusieurs ballets, Jean Cocteau pour qui elle crée les costumes de scène d’Antigone et d’Orphée ou encore Winston Churchill.
Elle a pour amants le compositeur Igor Stravinsky ou le duc de Westminster et si ces derniers lui offrent de nombreux bijoux ornés de diamants ou de joyaux, Chanel les porte toujours avec ses propres bijoux fantaisie, imitations de pierres précieuses, montrant que si on peut la gâter on ne peut pas l’acheter.
Cependant, en 1936, ses ouvrières lassées de son exigence d’une constante perfection et de devoir travailler des heures durant même pendant la nuit pour la satisfaire décident de faire une grève et expulsent quelques jours la couturière de son propre atelier.
Chanel, rancunière garde en mémoire cette humiliation et lorsque la guerre se déclare en 1939 s’empresse de fermer sa maison et de licencier toutes ses employées. À la fin de la guerre, Chanel est accusée d’avoir collaboré avec les allemands, ayant entretenu une liaison avec un officier allemand et devient par conséquent assez impopulaire. Elle se réfugie donc pendant plusieurs années en Suisse, observant de loin le sacre de Christian Dior et de son New-look. Taille étranglée, jupes évasées à froufrous, superpositions de couches de tissu : tout ce que Chanel a tenté de faire disparaître est de retour, la femme est de nouveau enfermée dans ses vêtements.
Là où Chanel a toujours affirmé la supériorité du style à celui de la mode, mettant toujours le confort de la femme en priorité, Christian Dior dessine chaque année une nouvelle ligne, transformant à son gré la silhouette de la femme en S, Y ou en A. Elle décide donc en 1954, à l’âge de soixante-dix ans de rouvrir sa maison.
Bijoux fantaisie Chanel
Coco Chanel posant en pantalon avec sa marinière
La collection qu’elle présente en 1954 est jugée vieillotte, nostalgique d’une autre époque. Elle est en réalité avant-gardiste puisque les années 1960 ne seront en réalité, en grande partie, qu’une copie des années 1920 mais personne ne le savait encore. Si la presse française n’est pas conquise par cette collection qui reçoit un accueil mitigé, la presse américaine elle est déjà enthousiasmée.
Chanel présente dans cette collection une pièce qui devient rapidement un classique, intemporel et indémodable : le tailleur en tweed. Le tweed est un tissu fait de laine torsadée originaire d’Écosse que Chanel découvre lors de ses voyages avec le duc de Westminster. Le succès de ce tailleur est immédiat, il est porté par des personnalités influentes de l’époque.
Elle ne présentera, dès lors, plus de vêtements novateurs et emblématiques, mais encore deux accessoires qui deviendront des icônes de la maison Chanel.
Elle présente en 1955 le 2.55, nommé sobrement en l’honneur de sa date de création (février 1955), est un sac matelassé en cuir d’agneau à chaîne métallique. Là encore le succès est immédiat.
Enfin, elle présente en 1957 la slingback, escarpin à petit talon carré et avec une bride à l’arrière pour maintenir le pied (d’où son nom). Elle est bicolore, beige sur tout le long et noire au bout du pied pour élancer la jambe. Cette chaussure est devenu un classique, souvent copié ou détourné.
Tailleur en tweed de 1954
Le 2.55, l’original et revisité par Karl Lagerfeld
Une version moderne du tailleur en tweed présentée lors de la collection printemps été 2018
Dans les années 1960, Chanel se replie dans son atelier de la rue Cambon d’où elle ne sort plus que pour présenter ses collections. Elle continue d’avoir du succès, habillant notamment Jackie Kennedy première dame des États-Unis de 1961 à 1963, mais représente plus l’image de la vieille femme au chic un peu guindé et dépassé que celle de la femme jeune et moderne qui s’émancipe. Elle est par exemple horrifiée de la mode de la mini-jupe, considérant qu’il faut toujours cacher les genoux qu’elle trouve laids. Elle n’est plus en phase avec l’époque dans laquelle elle vit.
J’ai rendu au corps des femmes sa liberté, ce corps suait dans des habits de parade, sous les dentelles, les corsets, les dessous, le rembourrage “ ”
Coco Chanel à la fin de sa vie
Elle s’éteint dans sa suite de l’hôtel du Ritz le 10 janvier 1971 à l’âge de quatre vingts huit ans et désigne Yves Saint Laurent comme son successeur intellectuel.
Elle aura marqué à jamais la mode de son empreinte et de son personnage, ayant plus que quiconque dans la mode œuvré pour libérer les femmes. « J’ai rendu au corps des femmes sa liberté, ce corps suait dans des habits de parade, sous les dentelles, les corsets, les dessous, le rembourrage » (Coco Chanel). Elle voulait « permettre aux femmes de bouger aisément, ne pas se sentir déguisée » et aura réussi sa mission, les délivrant tout en leur donnant toujours une allure chic et sophistiquée. Son style moderne et intemporel est aujourd’hui encore très actuel et elle continue de vivre à travers l’important héritage qu’elle a laissé avec des pièces iconiques comme la petite robe noire ou le tailleur en tweed.
Coco Chanel, image d’archive publicitaire